Deuils
C’est une semaine difficile. Trois deuils bien différents, mais trois deuils tout de même.
Le premier est un deuil mécanique. Notre fournaise à l’huile, vieille de plus d’un quart de siècle, qui servait aussi à faire circuler l’air du climatiseur dans la maison, a fait défaut. Déjà au printemps, on nous avait averti que ses jours étaient comptés. Nous pouvions la laisser mourir de sa belle mort ou bien la remplacer tout de suite. Nous avons opté pour la garder encore. Cette fois-ci, nous aurions pu la ressusciter en remplaçant un moteur. Elle aurait sûrement pu nous servir encore quelque temps. Une considération fut que les nouvelles fournaises sont beaucoup plus efficaces du point de vue énergétique et nous aurions avec les années des économies de mazout appréciables. Une autre point est que c’était mieux d’opérer le changement pendant que le temps n’était pas encore viré au froid. Est-ce que ça fait mal de perdre cette fidèle servante.? Si souffrance il y a, c’est au niveau du porte feuille. Ce n’est quand même que de la ferraille.
Notre deuxième perte est plus grave car elle est irremplaçable. Sur notre terrain au coin d’une rue, nous avons la chance d’avoir plusieurs arbres : deux énormes chênes, un tilleul encore plus grand, un pommetier. Je suis fier de ces arbres car ils absorbent du gaz carbonique et fabriquent de l’oxygène plein leur feuillage abondant. C’est pénible en automne de ramasser les feuilles à plusieurs reprises, mais c’est le devoir qui accompagne un privilège. Il y avait aussi une arbre spécial, un catalpa (que mon beau-père appelait un «bois blanc»), qu’on trouve rarement si au nord. Il était moins grand que les autres, de par sa nature ou parce que les grands lui volaient du soleil. Ses feuilles à la forme arrondie étaient immenses, pouvant atteindre un diamètre d’une quinzaine de centimètres. Les fleurs blanches étaient plutôt discrètes et il n’y avait pas beaucoup de fruits (les long haricots).Une autre particularité était qu’il perdait beaucoup d’écorce depuis des années. Je ne sais pas si c’est parce qu’il était malade ou si c’est une particularité de l’espèce. Toujours est-il qu’au cours de l’été j’avais fait venir l’assistant-forestier de la ville d’Ottawa pour discute de l’élagage de nos arbres qui en réalité appartiennent à la ville étant sur le terrain en bordure des trottoirs. Le forestier a tôt fait de me démontrer que le catalpa était mourant, étant infesté de fourmis et creux à l’intérieur. Certaines branches étaient desséchées. Il a donc condamné notre catalpa à mort, le marquant d’un grand X rouge. Hier matin, les employés municipaux sont venus discrètement l’abattre et le débiter et emporter ses restes. N’était-ce du bruit de la tronçonneuse, ils auraient pu faire leur travail funèbre sans qui nous nous en apercevions. Il y a maintenant un grand vide au coin de notre cour. Le regret que j’ai ressenti et que ma femme et ma fille ont exprimé est plus grand que celui pour la fournaise qui nous a gardé au chaud pendant si longtemps. Est-ce parce que c’était un être vivant? Est-ce parce qu’il est irremplaçable vu sa rareté? Est-ce parce qu’il a toujours été là, ayant aménagé bien avant que nous à cette adresse? Quand je vais remarquer son absence, ce sera avec un pincement de cœur. On va sans doute s’habituer.
Troisièmement, il s’agit d’un ami de longue date qui est aux soins intensifs depuis plus d’une semaine. Je prie bien fort pour qu’il réchappe, car il m’a parfois dit qu’il n’avait pas hâte de mourir, qu’il ne se sentait pas prêt. Il y a une douzaine de jours je me suis présenté chez lui à l’heure fixée pour une sortie. Il ne répondait pas à sa porte ou au téléphone. Le lendemain, j’ai appelé l’hôpital. J’ai appris qu’il était au campus Civic (où on soigne les maladies cardiaques), aux soins intensifs, et que seul les membres de sa famille peuvent aller le visiter. Je connais très peu ces gens, ne sachant ni leur nom ni comment les rejoindre. Je suis donc réduit à appeler chaque jour pour voir s’il est encore confiné et à prier pour lui. Je me dis que la vie est fragile et que nous devons profiter plus pleinement du temps pendant lequel les êtres qui nous sont chers nous sont prêtés. Je ne sais pas si mon ami va se remettre, si je vais le revoir de ce monde, s’il va pouvoir continuer de rester en appartement. S’il survit, je vais le voir plus souvent. S’il déménage de l’autre côté du voile, je sais qu’il sera toujours vivant mais invisible. Il sera plus heureux là-bas qu’ici, ayant finalement trouvé sa niche. Je trouve que, d’une façon, la perte d’un ami ou d’un proche, quoique plus douloureuse, est moins catastrophique que celle d’un appareil ménager ou d’un arbre, car pour eux la vie continue après la mort, alors que les êtres qui n’ont pas d’âme immortelle perdent toute identité. Le corps humain aussi se décompose, mais l’âme continue de porter l’identité de la personne en attendant de revêtir un corps de gloire au jour de la grande Finale.
Le premier est un deuil mécanique. Notre fournaise à l’huile, vieille de plus d’un quart de siècle, qui servait aussi à faire circuler l’air du climatiseur dans la maison, a fait défaut. Déjà au printemps, on nous avait averti que ses jours étaient comptés. Nous pouvions la laisser mourir de sa belle mort ou bien la remplacer tout de suite. Nous avons opté pour la garder encore. Cette fois-ci, nous aurions pu la ressusciter en remplaçant un moteur. Elle aurait sûrement pu nous servir encore quelque temps. Une considération fut que les nouvelles fournaises sont beaucoup plus efficaces du point de vue énergétique et nous aurions avec les années des économies de mazout appréciables. Une autre point est que c’était mieux d’opérer le changement pendant que le temps n’était pas encore viré au froid. Est-ce que ça fait mal de perdre cette fidèle servante.? Si souffrance il y a, c’est au niveau du porte feuille. Ce n’est quand même que de la ferraille.
Notre deuxième perte est plus grave car elle est irremplaçable. Sur notre terrain au coin d’une rue, nous avons la chance d’avoir plusieurs arbres : deux énormes chênes, un tilleul encore plus grand, un pommetier. Je suis fier de ces arbres car ils absorbent du gaz carbonique et fabriquent de l’oxygène plein leur feuillage abondant. C’est pénible en automne de ramasser les feuilles à plusieurs reprises, mais c’est le devoir qui accompagne un privilège. Il y avait aussi une arbre spécial, un catalpa (que mon beau-père appelait un «bois blanc»), qu’on trouve rarement si au nord. Il était moins grand que les autres, de par sa nature ou parce que les grands lui volaient du soleil. Ses feuilles à la forme arrondie étaient immenses, pouvant atteindre un diamètre d’une quinzaine de centimètres. Les fleurs blanches étaient plutôt discrètes et il n’y avait pas beaucoup de fruits (les long haricots).Une autre particularité était qu’il perdait beaucoup d’écorce depuis des années. Je ne sais pas si c’est parce qu’il était malade ou si c’est une particularité de l’espèce. Toujours est-il qu’au cours de l’été j’avais fait venir l’assistant-forestier de la ville d’Ottawa pour discute de l’élagage de nos arbres qui en réalité appartiennent à la ville étant sur le terrain en bordure des trottoirs. Le forestier a tôt fait de me démontrer que le catalpa était mourant, étant infesté de fourmis et creux à l’intérieur. Certaines branches étaient desséchées. Il a donc condamné notre catalpa à mort, le marquant d’un grand X rouge. Hier matin, les employés municipaux sont venus discrètement l’abattre et le débiter et emporter ses restes. N’était-ce du bruit de la tronçonneuse, ils auraient pu faire leur travail funèbre sans qui nous nous en apercevions. Il y a maintenant un grand vide au coin de notre cour. Le regret que j’ai ressenti et que ma femme et ma fille ont exprimé est plus grand que celui pour la fournaise qui nous a gardé au chaud pendant si longtemps. Est-ce parce que c’était un être vivant? Est-ce parce qu’il est irremplaçable vu sa rareté? Est-ce parce qu’il a toujours été là, ayant aménagé bien avant que nous à cette adresse? Quand je vais remarquer son absence, ce sera avec un pincement de cœur. On va sans doute s’habituer.
Troisièmement, il s’agit d’un ami de longue date qui est aux soins intensifs depuis plus d’une semaine. Je prie bien fort pour qu’il réchappe, car il m’a parfois dit qu’il n’avait pas hâte de mourir, qu’il ne se sentait pas prêt. Il y a une douzaine de jours je me suis présenté chez lui à l’heure fixée pour une sortie. Il ne répondait pas à sa porte ou au téléphone. Le lendemain, j’ai appelé l’hôpital. J’ai appris qu’il était au campus Civic (où on soigne les maladies cardiaques), aux soins intensifs, et que seul les membres de sa famille peuvent aller le visiter. Je connais très peu ces gens, ne sachant ni leur nom ni comment les rejoindre. Je suis donc réduit à appeler chaque jour pour voir s’il est encore confiné et à prier pour lui. Je me dis que la vie est fragile et que nous devons profiter plus pleinement du temps pendant lequel les êtres qui nous sont chers nous sont prêtés. Je ne sais pas si mon ami va se remettre, si je vais le revoir de ce monde, s’il va pouvoir continuer de rester en appartement. S’il survit, je vais le voir plus souvent. S’il déménage de l’autre côté du voile, je sais qu’il sera toujours vivant mais invisible. Il sera plus heureux là-bas qu’ici, ayant finalement trouvé sa niche. Je trouve que, d’une façon, la perte d’un ami ou d’un proche, quoique plus douloureuse, est moins catastrophique que celle d’un appareil ménager ou d’un arbre, car pour eux la vie continue après la mort, alors que les êtres qui n’ont pas d’âme immortelle perdent toute identité. Le corps humain aussi se décompose, mais l’âme continue de porter l’identité de la personne en attendant de revêtir un corps de gloire au jour de la grande Finale.
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